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moins consulté la charité monacale, qui a des bornes fort étroites, que la tendresse paternelle, qui souvent n’en connaît pas. Le bon Père, par une pareille prodigalité, exposait la légitimité de ma naissance à de violents soupçons. Mais nos manants étaient de bonnes gens et n’en voyaient pas plus que l’on ne voulait leur en faire voir. D’ailleurs, qui aurait osé porter un œil de critique et de malice sur le motif de la générosité des révérends Pères ? C’étaient de si honnêtes gens, de si bonnes gens ; on les adorait dans le village ; ils faisaient du bien aux hommes et aimaient l’honneur des femmes ; tout le monde était content. Mais revenons à ma figure, car je vais avoir une aventure illustre.

À propos de cette figure-là, j’avais un air espiègle qui ne prévenait pas contre moi. J’étais mis proprement, des yeux malins, de longs cheveux noirs me tombaient par boucles sur les épaules et relevaient à merveille les couleurs de mon visage, qui, quoique un peu brun, ne laissait pas de valoir son prix. C’est un témoignage authentique que je me crois obligé de rendre au jugement de plusieurs très honnêtes et très vertueuses personnes à qui j’ai rendu mes hommages.

Suzon, comme je l’ai dit, avait fait un bouquet pour madame Dinville (c’était le nom de sa marraine), femme d’un conseiller de la ville voisine, qui venait à sa terre prendre le lait, pour rétablir une poitrine dérangée par le vin de Champagne et quelques autres causes.

Suzon s’étant mise dans ses petits atours, qui la rendirent encore plus aimable à mes yeux, il fut dit que je l’accompagnerais. Nous allâmes au château. Nous trouvâmes la dame dans un appartement d’été où elle prenait le frais. Figurez-vous une femme d’une grandeur

médiocre, poil brun, peau blanche, le visage laid en

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