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criminelle, si un pareil abus méritoit des sentimens aussi moderés. Il faut bien peu respecter les homes pour respecter aussi peu leurs mœurs. Raconter que des Ecrivains délicats et polis nous peignent l’amour et la volupté sous les trais les plus séduisans, mais couverts d’un léger voile et d’une gaze déliée, qu’il seroit permis quelquefois de tracer des crayons agréables de nos plaisirs, pourvu qu’ils dérobent aux yeux ce qu’on présente à l’imagination ; ces peintures ne seront dangereuses que pour ceux qui se trouveront dans la disposition du danger : mais la vuë mème des objets tels que les ofre le Portier, et les nudités qui animent ses tableaux soulevent et font rougir l’honète home. Comparer ce Livre à l’Aretin, l’Aloysia et pareilles ordures, ce seroit en afaiblir l’idée. Le libertinage y est encore plus rafiné, et la débauche la plus exercée n’a jamais rien étalé de si lubrique. L’amour naturel et l’antiphysique y forment mile tableaux diférens et s’y peignent sous toutes sortes de formes. Au reste on y aperçoit beaucoup d’esprit et un grand feu d’imagination, mais qui paraît partout allumé du feu de la débauche qui l’a dicté. C’est la lubricité mème distilée dans une suite d’images et réchaufée par les expressions les plus libertines. L’ouvrage n’est pas également soutenu partout, il y a des imaginations pitoyables, et le libertinage de l’esprit semble avoir entraîné celui du stile, point d’art dans les transitions. A côté d’endroits merveilleux, on en trouve de négligés qui dégoutent par la bassesse et l’inégalité de l’expression ; on diroit que ces négligences sont un coup de l’art dans une pareille matiere ; il y a de tems en tems de l’élévation, de l’élégance, de la Poësie mème ; mais ce n’est le plus souvent qu’un alliage bizarre du langage le plus épuré avec celui des Cieux qui ont inspiré l’Auteur. Enfin toutes les regles du Roman sont violées dans celui-ci : Religion, mœurs, honèteté, vérité, vraisemblance, rien n’est ménagé. Quelque soit l’Auteur de cét ouvrage, s’il a cherché en le composant, la gloire que tout home d’esprit cherche à tirer de ses productions, et qui en est le tribut legitime, il mérite d’en être privé et d’être éternellement enseveli sous les ténebres dont il est couvert. Si c’est pour satisfaire sa propre corruption, c’est un monstre dans la societé et un empoisoneur public.

Voilà, Monsieur, ce que je pense, et de l’Auteur, et du Livre en question. Il s’agit de vous en décrire la marche, et j’aurai fait en deux coups de plume.