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la Sibylle de Cumes, vint ouvrir en entre-bâillant la porte.

— Mon petit roi, me dit-elle, il y a du monde ; attends un moment ; monte plus haut.

Monter plus haut était bien difficile, à moins que de vouloir monter au ciel. Une porte se présenta sous ma main ; elle s’ouvrit d’elle-même. J’allais me retirer, dans la crainte de trouver quelqu’un et de faire soupçonner ma probité. L’odeur me rassura.

Abandonné à moi-même, dans un endroit affreux, au bout du monde, dans un pays perdu, avec des gens inconnus, je me sentis saisir d’une horreur subite. Le danger que je courais s’offrit à mes yeux. Profitons, dis-je en moi-même, de ce moment de clarté, sauvons-nous. Quelque chose de plus puissant que la réflexion m’arrêta. Il semblait qu’une mer immense se présentât à mes yeux et m’empêchât de gagner le rivage : je m’élançais, et je me retenais aussitôt. Le ciel a-t-il gravé dans nos cœurs des pressentiments de ce qui doit nous arriver ? Oui, sans doute, et je l’éprouvais. Dans le moment, on ouvre la porte fatale, on m’appelle, je descends ; infortuné, je courais à ma perte, mais quelle joie délicieuse devait la précéder !

J’entre d’un air timide, à la lueur tremblante d’une lampe ; je vais m’asseoir sans parler sur une chaise ; j’appuie le coude sur une table mal assurée ; je me couvre les yeux avec la main, comme si j’eusse voulu me dérober aux réflexions qui venaient en foule m’assaillir. Une quêteuse infernale s’avance ; je lui donne le premier argent qui me tombe sous la main. Elle me remercie d’une générosité si peu commune. Sans faire attention à ses discours, je ne m’occupais que de ma douleur. Un maintien aussi triste dans le temple de la