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il ne peut se défendre, et qui vient, malgré moi, de répandre sur mon visage une tristesse que je n’ai pu te cacher. Oui, c’est cette seule crainte qui m’inquiète à présent ; celle de mon sort ne m’occupe plus, puisque je suis avec toi.

— Oses-tu, lui répondis-je, te défier des charmes que tu étales à mes yeux ? Que tu en connais peu le prix, si tu doutes de leur effet ! Oui, l’ardeur qu’ils m’inspirent est trop forte pour ne pas s’indigner d’une pareille crainte. Que tu me connais peu ! Si un préjugé ridicule a mis une différence entre une fille foutue et une fille à foutre, ce préjugé n’est pas ma règle. La beauté, pour en avoir charmé d’autres, doit-elle perdre le droit de nous charmer ? Quand tu l’aurais fait avec toute la terre, n’es-tu pas toujours la même, n’es-tu pas toujours une fille adorable, en serais-tu moins précieuse à mes yeux ? Les plaisirs que tu as donnés à d’autres ont-ils altéré la vivacité de ceux que tu viens de me donner ?

— Tu m’enlèves, me répondit-elle, je ne fais plus de difficulté de t’apprendre des infortunes que tu viens de faire cesser.

Suite de l’histoire de la Sœur Monique

Mon malheur a sa source dans mon cœur, dans un penchant insurmontable que la nature m’a donné pour le plaisir. L’amour est mon centre, c’est ma divinité, je suis faite, je ne respire que pour lui.

Une mère injuste et cruelle s’était imaginée que sa volonté devait me tenir lieu de vocation pour le cloître. Trop timide pour oser mettre mon goût en concurrence avec ses ordres absolus, je ne fis parler que mes larmes ; elles ne l’attendrirent pas ; j’entrai, je pris le voile. Le