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pour être introduits dans notre piscine : c’est ainsi que nous nommons l’appartement de nos Sœurs. On n’en confie les clefs à personne ; il n’y en a que deux, qui restent continuellement, l’une entre les mains du Père Dépensier, l’autre entre les miennes.

— Ce n’est pas tout, continua le Prieur. L’étonnement que vous venez de faire paraître, Père Saturnin, au sujet de notre piscine, tiendra-t-il contre celui que va vous causer la nouvelle d’une chose que vous n’avez jamais soupçonnée ? Vous n’êtes pas fils d’Ambroise.

Je demeurai effectivement si interdit à ces mots que je n’eus pas la force d’ouvrir la bouche.

— Oui, poursuivit le Prieur, vous n’êtes ni le fils d’Ambroise ni celui de Toinette. Vous êtes d’une naissance plus relevée. Notre piscine vous a vu naître : une de nos Sœurs vous a donné le jour.

Alors il me conta ce que vous avez vu au commencement de ces mémoires.

— Ah ! lui dis-je alors, revenu de ma première surprise, quelqu’étonnant, mon Père, que soit le mystère que vous venez de m’apprendre, je sens que vous n’aurez pas de peine à m’y faire ajouter foi. Oui, j’ai dans le cœur des sentiments qui justifient ma naissance, et ces sentiments ne se trouvent pas dans celui d’un fils de jardinier. Mais avant que je me livre à la joie que doit m’inspirer la connaissance de mon origine, permettez-moi de me plaindre d’un défaut de confiance qui m’a souvent fait haïr un état auquel j’étais destiné par ma naissance. Pourquoi m’avez-vous toujours envié la douce consolation d’embrasser ma mère, si elle vit encore ? Craigniez-vous que je n’abusasse d’un secret que j’avais tant d’intérêt à garder ?

— Père Saturnin, me dit le Prieur attendri, vos