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de mon état malheureux. À quoi vous occupiez-vous donc, pauvre petit Saturnin ? Hélas ! je me branlais : mon vit était toute ma consolation ; c’était avec lui que j’oubliais mes peines et mes douleurs.

J’étais un jour dans le fort de mon ouvrage, écarté dans un lieu solitaire ; je croyais n’avoir aucun témoin et je me dulcifiais avec cette indolence voluptueuse que la solitude permet. Un coquin de moine m’observait : il n’était pas de mes amis, au contraire, c’était un de ceux qui avaient toujours marqué le plus d’éloignement pour moi. Il parut à mes yeux si brusquement, que les bras me tombèrent de surprise et que je restai dans cet état exposé à la malignité de ses regards. Je me crus perdu ; je crus qu’il allait publier partout mon aventure, et la façon dont il m’aborda me fit juger qu’il n’y avait pas de composition à attendre de lui.

— Ah ! ah ! Frère Saturnin, me dit-il en levant les yeux au ciel et croisant les mains ; ah ! Frère Saturnin, je ne vous croyais pas capable de faire de pareilles choses. Vous, le modèle du couvent ! vous, l’aigle de la théologie ! vous…


Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux
Illustration Histoire de Dom Bougre, Portier des chartreux

— Eh ! morbieu ! interrompis-je brusquement, finissons ces éloges ironiques ; vous avez vu que je me branlais, je n’ignore pas que vous allez en faire fête à tout le couvent, eh bien, sacre… continuai-je en reprenant mon ouvrage, allez en rire, amenez qui vous voudrez, je vous attends à la dixième décharge !

— Eh, Frère Saturnin, reprit-il avec le même sang-froid, ce que je vous en dit n’est que pour votre bien : pourquoi vous amuser à vous branler comme un coquin ? Nous avons tant de Novices ! c’est un amusement d’honnête homme…

— Vous vous rangez apparemment dans cette classe,