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Je l’assurai d’un secret éternel ; nous nous embrassâmes pour la dernière fois, et je la laissai bien persuadée qu’elle venait de recevoir l’offrande de mon pucelage.

Madame Dinville était restée dans son appartement. Elle m’avait averti de faire en sorte que l’on ne m’aperçut pas ; l’obscurité me favorisait. Je traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui ? par Suzon.

Sa vue me rendit immobile : il semblait que sa présence me reprochât les plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d’intelligence avec mon cœur pour m’accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de faire. Elle me prit la main et demeura sans parler. La confusion me faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai qu’à mes yeux le soin de lui en demander la cause, je les levai sur elle : je m’aperçus qu’elle versait des larmes. Suzon y reprit dans le moment l’empire que les caresses de madame Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse eût fasciné mes yeux et mon cœur au point de ne voir qu’elle, de n’être sensible qu’au plaisir d’être avec elle, et j’avais la simplicité de regarder comme l’effet de quelque sortilège ce qui n’était que celui de mon tempérament et de l’attrait des plaisirs.

— Suzon, dis-je à ma sœur d’un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon ; tes yeux se couvrent de larmes quand tu me vois ; est-ce moi qui les fais couler ?

— Oui, c’est toi, me répondit-elle ; je rougis de te l’avouer, cruel Saturnin, oui, c’est toi qui me les arraches ; c’est toi qui me désespères et qui va me faire mourir de douleur.

— Moi ! m’écriai-je ; juste ciel ! Suzon, oses-tu me