perdre Martin ? Non ; il m’était mille fois plus précieux
que ce qui me flattait le plus dans ce moment. Je ne
remis l’exécution de mon projet que jusqu’au temps
que je serais hors de danger : je le fus bientôt. J’avais
demandé à Martin une trêve de huit jours ; elle n’était
pas encore expirée. Je crus pouvoir alors exécuter le
dessein que j’avais formé : il eut tout l’effet que j’en
pouvais attendre. La Supérieure trouva les lettres, fit
venir la Mère Angélique et la convainquit. Peut-être la
réflexion eût-elle obtenu sa grâce, si un crime plus
grand, et que les femmes ne pardonnent jamais, la rivalité,
n’eût rendu sa punition nécessaire pour le repos
de la Supérieure ; car, quoiqu’elle ne manquât pas,
comme je te l’ai dit, de ces secours capables d’émousser
la pointe des aiguillons de la chair, il est bien difficile,
quand on a grand appétit, de s’en tenir à cette nourriture
artificielle qui charme la faim sans la calmer.
Un godmiché n’est, à proprement parler, qu’un secret pour endormir le tempérament ; mais son sommeil n’est pas de longue durée ; il se réveille, et, furieux de la tromperie qu’on lui a faite, il ne s’apaise que par la réalité.
La Supérieure était dans ce cas. Une fille qui a acquis quelques connaissances dans les mystères de l’amour voit clair dans une intrigue. Si les objets lui manquent, l’imagination y supplée ; elle s’aigrit des difficultés qu’on lui oppose, elle perce et va quelquefois plus loin que la réalité ; mais avec un homme, une femme du caractère de la Supérieure, du caractère du Père Jérôme, je craignais moins d’en trop penser que de n’en pas penser assez. La liaison qui régnait entre eux ne me laissait pas douter que le Directeur ne partageât secrètement ses consolations spirituelles entre elle et la Mère Angé-