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Sériac haussa les épaules et ne répondit pas.

« N’importe !… que te faut-il ?… Cinq cent mille francs !… »

Alors impatienté, il lui cria à pleins poumons : « Oui ! »

— Je te les donne, répliqua-t-elle froidement.

Ce dernier mot tomba entre eux comme la foudre ; durant quelques instants, le silence creusa son vide ; Sériac fixait sur sa maîtresse de grands yeux stupéfaits, et Follette décontenancée, avait pâli.

— Tu me les donnes ? s’écria-t-il tout à coup. Cinq cent mille francs ?… Mais je rêve… Quel métier fais-tu donc ?

— Il est bien l’heure de s’indigner !… Au fait, pourquoi dissimulerais-je ? — J’ai fait métier de galanterie avec quelque succès ; voilà !… D’ailleurs, tu sais tout cela aussi bien que moi… Alors, à quoi bon tant de questions ?… C’est ton nom, ton crédit maintenant qu’il s’agit de sauver, ta fortune qu’il faut reconquérir… et puis aussi, ces plaisirs, ce luxe dont tu as besoin et qui sont ta vie… Prends et ne regarde pas au delà ! »

Elle visait juste en excitant ses convoitises, et elle débita tout cela en femme qui avait appris et répété son rôle depuis longtemps. — Il en fallait moins pour décider Sériac, que tout ce cliquetis de mots avait presque rendu fou ; les beaux jours du passé jaillissaient à ses yeux, en pleine lumière, sur le fond noir de sa situation présente ; il continuerait à vivre la même vie ; ce ne serait qu’une secousse, un mauvais rêve aussitôt évanoui, une chimère d’infortune ! D’ailleurs il espérait bien rembourser ; ce n’était qu’un emprunt et puisque Follette le pouvait, autant elle que tout autre !

— Oui, tu as raison, tu es ma providence, je ne dois pas te repousser. Avant tout, vivons et vivons grandement !… J’accepte, ma Follette !… Viens !

Et dans un transport, il se jeta sur sa maîtresse pour l’étreindre et l’embrasser. Mais elle, avec calme, d’un geste, le retint à distance et souriante :

— Fort bien, ajouta-t-elle. Seulement, il me faut une compensation. Aujourd’hui, j’ai quarante ans, je veux achever tranquille ma misérable vie : or, pour cela, j’ai compté sur toi ; toi que j’ai appris à connaître, intelligent, hardi, c’est toi seul qui peux me procurer le bonheur.

Sériac revint de son enthousiasme :

— Un mariage ? fit-il d’un air sceptique.

— Peut-être…

— Et tu crois que devant tous, à la suite d’une perte d’argent qui n’est inconnue pour personne, j’irais épouser Follette, Follette, ma maîtresse ! Oh, vois-tu les sourires qu’exciterait ce ménage de circonstance ?… Un jour, Sériac fut ruiné, dirait-on ; le lendemain, du même coup, en épousant sa maîtresse, il refit fortune !