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amoindrir sa dignité et son caractère d’homme ; il les suivrait sans les devancer, pourvu toutefois qu’elles n’y missent pas trop de lenteur. Car sa tournure d’esprit et son ambition le préparaient à s’affranchir aisément des sacrifices intimes qu’imposent à certaines heures l’honorabilité et le respect de soi-même.

Dans ces conditions, il ne tenait plus qu’au hasard de lui ouvrir pour arriver la bonne ou la mauvaise voie.


Ce fut à la spéculation qu’il demanda ses premières ressources : manière hardie de sonder la fortune et de jouer l’avenir sur un coup de dés !

À Paris, pour peu que l’on batte le bitume des boulevards et que l’aplomb ne fasse pas défaut, on est vite et facilement entouré. Sériac l’avait remarqué ; comme il n’était pas disposé à jouer le rôle de dupe, il laissa venir à lui, en habile prévenu de la manœuvre et qui savait bien comment s’en défendre. Son unique, son plus pressant désir était d’apprendre, de la bouche même de ces viveurs, la manière dont ils en usaient. L’argent, ce puissant levier de toutes les entreprises, ne leur manquait jamais : comme eux, il alla demander à la Bourse de quoi satisfaire ses convoitises.

C’était bien là son programme : le luxe avec ses éblouissements, son affichage hautain !… Par là, il s’assurait l’indépendance, même plus, la considération ! L’argent — ô honte ! — est le maître absolu ; avec lui on s’impose, on domine, on règne : les flatteurs le pressent de leurs assiduités, les envieux se courbent, les sages le respectent, et cette royauté, qui s’exerce sans contrôle, est bien faite pour donner le vertige aux malheureux que le destin emporte brusquement, du matin au soir, sur ses hauteurs !


Sériac était de ce nombre. Quoique mieux pourvu que beaucoup de ces fils du hasard et capable de profiter intelligemment des faveurs du sort, son courage et sa volonté faiblissaient néanmoins sous le bonheur, et il se trouvait dompté par sa propre fortune. Deux années lui suffirent pour se voir à la tête d’un train de maison inattendu ; alors toutes ses espérances étant plus que réalisées, il crut à la constance de sa destinée. Jadis il avait bien limité sa marche en avant : « J’irai jusque-là », s’était-il dit. Mais, grisé par le succès, emporté par la course, il allait, s’adonnant à toutes les jouissances de la vie, détrempant dans la mollesse et le plaisir les dernières forces de sa robuste nature. Aux dépenses les plus folles du jour et de la nuit, la Bourse répondait par les plus beaux coups de fortune ; s’il jetait cent louis en pâture à ses appétits, son étoile lui en rendait deux cents. Il avait une cour, des créatures, des adulateurs, qui s’ingéniaient à gonfler ses illusions, à chauffer son cerveau, à surexciter ses nerfs : ils en vivaient !