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choses, comme en conçoit 1 esprit privé de sommeil et abreuvé d’amertume.

Vers huit heures du matin, le peuple des mouches salua le soleil qui se dégageait péniblement des brumes ; et ces bêtes commencèrent de se livrer à leur grande orgie quotidienne.

Tous ceux qui ont passé sur la Somme en 1916 conserveront le souvenir des mouches. Le désordre du champ de bataille, sa richesse en charognes, l’accumulation anormale des animaux, des hommes, des nourritures gâtées, toutes ces causes déterminèrent, cette année-là, une formidable éclosion de mouches. Elles semblaient s’être donné rendez-vous de tous les points du globe pour assister à une exceptionnelle solennité. Il y en avait de toutes les espèces, et le monde humain, livré à ses haines, restait sans défense contre cette odieuse invasion. Pendant tout un été, elles furent les maîtresses, les reines, et on ne leur marchanda pas la nourriture. J’ai vu, à la cote 80, des plaies fourmillantes de larves, ce que l'on avait pu oublier depuis la bataille de la Marne. J’ai vu des mouches se précipiter sur le sang et le pus des blessures et s’en repaître avec une telle ivresse qu’on pouvait les sai-