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Plus vers la gauche, s’élevait une véritable ville formée de tentes écrues, avec des croix rouges écartelées sur leur faîte. Au delà, le terrain se creusait et repartait d’un coup de rein vers le champ de bataille frémissant à l’horizon dans une buée noire. De-ci de-là, montaient, côte à côte, les fumées d’une rafale d’obus, rangées comme les arbres d’une route. Plus de trente ballons formaient cercle en plein ciel, ainsi que des curieux qui s’intéressent à une rixe. L’adjudant me montra les tentes et dit : — La cote 80, c’est là ! Vous y verrez passer plus de blessés que vous n’avez de cheveux sur la tête, et couler plus de sang qu’il n’y a d’eau dans le canal. Tout ce qui tombe entre Combles et Bouchavesnes rapplique là. Je hochai la tête et nous retournâmes à nos réflexions. Le jour finissait dans l’haleine trouble des marais. De grosses pièces anglaises tiraient, pas très loin de nous, et leur bruit se ruait dans l’étendue comme un coursier furieux qui fonce à l’aveugle. L’horizon était peuplé de tant de canons qu’on percevait un gargouillement continu, semblable à celui d’une immense bouilloire tourmentée par un brasier.