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CIVILISATION


cratères : un sommeil plein de cauchemars, de sursauts et d’éclairs. Nous divisions les ténèbres, pénétrant lentement dans une campagne misérable, que l’on devinait encore enlaidie par le hideux appareil guerrier. Le petit train clopinait, ahanait, un peu hésitant, comme un aveugle qui connaît son chemin.

Je revenais de permission . J’étais souffrant et allongé sur une banquette. En face de moi, trois officiers causaient. Leurs voix étaient celles de jeunes hommes, leur expérience militaire celle de vieillards. Ils rejoignaient leur régiment.

— Ce secteur, dit l’un d’eux, est calme en ce moment.

— A coup sûr, dit l’autre, nous voici tranquilles jusqu’au printemps.

Une sorte de silence suivit, harcelé par le claquement des rails sous les roues. Alors une voix mordante, juvénile, rieuse, dit presque bas :

— Oh ! on nous fera sans doute faire encore une bêtise avant le printemps.. .

Puis, sans transition, l’homme qui venait de parler ajouta :

— Ce sera la douzième fois que j’irai à l’assaut.