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adam bede.

l’épaule, on aurait pu le prendre, en raison de sa figure pâle et maigre, pour le spectre de l’Adam Bede qui était entré dans le parc un soir d’août, il y avait huit mois. Mais il n’avait point de panier, et ne marchait plus en se tenant droit comme alors et regardant attentivement les arbres autour de lui ; ses mains étaient dans ses poches et ses yeux étaient plutôt dirigés vers la terre. Il venait d’entrer dans le bosquet, et maintenant il s’arrêtait devant un hêtre. Il connaissait bien cet arbre, près duquel s’était brisée sa jeunesse, et qui lui rappelait le moment où quelques-uns de ses sentiments les plus frais et les plus vifs l’avaient abandonné. Il était sûr qu’ils ne reviendraient jamais. Et cependant, dans cet instant, il y avait un mouvement d’affection attaché au souvenir de cet Arthur Donnithorne en qui il avait eu foi jusqu’au moment d’arriver à ce hêtre huit mois auparavant. C’était de l’attachement pour un mort ; cet Arthur-là n’existait plus.

Il fut détourné par un bruit de pas qui s’approchaient ; mais l’arbre était au tournant du chemin, et il ne put voir qui venait jusqu’à ce qu’une haute figure svelte, habillée de grand deuil, se trouvât subitement à deux pas de distance. Ils tressaillirent tous deux et se regardèrent mutuellement en silence. Souvent, pendant ces derniers quinze jours, Adam s’était représenté être ainsi près d’Arthur, lui adressant des paroles aussi pénétrantes que la voix du remords, et lui infligeant la juste punition des malheurs dont il était la cause ; et souvent aussi il s’était dit qu’il valait mieux qu’une telle rencontre n’eût pas lieu. Mais dans la supposition de cette entrevue, il s’était toujours représenté Arthur tel qu’il l’avait rencontré le soir du Bosquet, frais, insouciant, léger en paroles ; et la figure qui se présentait à lui le toucha par son expression de souffrance. Adam savait trop ce qu’était la souffrance pour mettre cruellement le doigt sur une blessure. Il ne ressentit aucune impulsion à laquelle