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attendant, nous pouvons regarder cette imposante vieille dame, sa mère, une belle brune âgée, dont la riche carnation est rehaussée par cette enveloppe compliquée de batiste blanche et de dentelles qui encadre sa tête et son cou. Elle est aussi droite dans son gracieux embonpoint qu’une statue de Cérès, et son visage brun, son nez délicat et aquilin, sa bouche ferme et fière, ses yeux noirs, petits et perçants, sont d’une expression si fine et si sarcastique, que vous supposez instantanément que si des cartes étaient à la place des échecs, elle pourrait vous dire votre bonne fortune. La petite main de laquelle elle soulève sa reine est chargée de perles, de diamants et de turquoises ; et un grand voile noir, très-soigneusement ajusté sur le fond de son bonnet, contraste fortement avec les plis blancs qui enveloppent son cou. Sa toilette doit durer longtemps le matin ! Mais c’est comme une loi de nature qu’elle doive s’habiller ainsi : c’est évidemment un de ces enfants de la royauté qui n’ont jamais douté de leur droit divin, et n’ont jamais rencontré quelqu’un d’assez absurde pour le mettre en doute.

« Là, dauphin, comment appelez-vous cela ! dit la superbe vieille dame en posant sa reine avec beaucoup de calme et croisant les bras. Je serais fâchée de prononcer un mot qui pût froisser votre susceptibilité.

— Ah ! mère vraiment magicienne !… comment un chrétien pourrait-il vous gagner une partie ? J’aurais dû arroser l’échiquier d’eau bénite avant de commencer. Vous n’avez pas gagné loyalement, convenez-en !

— Oui, c’est ce que les vaincus disent toujours des grands conquérants. Mais tenez, voici le soleil qui éclaire l’échiquier pour vous montrer plus clairement quelle sottise vous avez faite en remuant ce pion. Eh bien, dois-je vous donner votre revanche ?

— Non, chère mère, je vais vous laisser avec votre con-