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penchées en avant. De temps en temps approchait un nouvel arrivant, peut-être quelque épais laboureur, qui, son souper avalé, venait voir ce spectacle inaccoutumé, écoutant avec un regard hébété ce que chacun pouvait avoir à dire, mais n’apportant point assez d’intérêt à ce qui se passait pour adresser quelque question. Cependant, tous avaient soin de ne point se joindre aux méthodistes sur la Pelouse et évitaient ainsi de s’identifier avec l’auditoire en attente, car il n’en était aucun qui n’eût désavoué l’imputation d’être venu pour écouter la prêcheuse ; ils avaient seulement voulu voir quel air cela avait. Les hommes étaient principalement rassemblés dans le voisinage de la forge. Mais ne vous imaginez point qu’ils fussent réunis en un groupe. Les villageois ne se serrent jamais ; le chuchotement leur est inconnu, et ils sont presque aussi incapables de baisser la voix qu’une vache ou un cerf pourrait le faire. Le véritable paysan anglais tourne le dos à son interlocuteur, auquel il jette une question par-dessus l’épaule, comme s’il était prêt à s’enfuir avant la réponse, et s’éloigne de deux ou trois pas quand l’intérêt du dialogue atteint le plus haut degré. Aussi le groupe, près de la forge, n’était nullement condensé et ne formait point un écran devant Chad Cranage le forgeron, qui, croisant ses bras noircis, s’appuyait contre le montant de sa porte. Il poussait de temps en temps un éclat de rire à ses propres plaisanteries, auxquelles il donnait une préférence marquée sur les quolibets lancés par Ben le Vif, qui avait renoncé aux charmes du Buisson de houx pour voir la vie sous un nouvel aspect. Mais ces deux genres d’esprit étaient traités avec un égal dédain par M. Joshua Rann. Le tablier de cuir et l’air chagrin et renfrogné de M. Rann ne laissent ignorer à personne que c’est le cordonnier du village ; son menton et sa poitrine portés en avant pourraient indiquer le clerc de la paroisse habitué à lire au lutrin. Le vieux José, comme l’ap-