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dresse et d’affection dans nos familles. J’ai un ou deux amis dont le genre de traits est tel, que la boucle d’Apollon sur le haut de leur front serait dérisoire ; cependant, à ma connaissance certaine, de tendres cœurs ont battu pour eux, et leurs portraits, peu jolis quoique flattés, sont baisés en secret par des lèvres maternelles. J’ai vu plus d’une excellente matrone, qui dans ses jeunes années n’avait jamais pu être belle, avoir dans un tiroir secret un vieux paquet de lettres d’amour, et dont les doux enfants couvraient de baisers les pâles joues. Je crois qu’il y a eu bon nombre de jeunes héros, de taille moyenne et barbe rare, qui se croyaient dans l’impossibilité de jamais aimer quelque chose de moins qu’une Diane, et qui pourtant se sont, au milieu de leur vie, trouvés unis avec une femme quelque peu difforme. Oui ! Dieu merci, l’amour humain est comme les puissantes rivières qui fécondent la terre ; il n'attend pas la beauté, il s’élance avec une force irrésistible et la porte avec lui.

Honneur et respect à la perfection divine de la forme. Recherchons-la autant que possible chez les hommes, les femmes et les enfants, dans nos jardins et nos demeures. Mais sachons aussi aimer cette autre beauté qui ne réside point dans les secrets de la proportion, mais dans ceux d’une profonde sympathie humaine. Peignez, si vous le voulez, un ange à la robe violette et au visage éclatant de lumière céleste ; peignez encore plus souvent une madone à douce figure levée vers le ciel, étendant les bras pour recevoir la gloire divine ; mais ne nous imposez aucune règle esthétique qui doive bannir des régions de l’art ces vieilles femmes préparant des carottes de leurs mains desséchées, ces lourds danseurs faisant fête dans une taverne enfumée ; ces dos arrondis, ces visages simples et halés qui se sont courbés sur la bêche et ont supporté le rude travail de ce monde ; ces intérieurs avec leurs plats d’étain, leurs cruches