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deux jambes et marcher sur des béquilles pour le reste de ses jours. Il ne pouvait croire à cet état, c’était trop odieux, trop peu lui.

Et lors même que personne ne s’en apercevrait, ils pouvaient s’attacher beaucoup trop l’un à l’autre, et, après tout, il n’en résulterait que la douleur de la séparation. Aucun gentilhomme, si ce n’est dans les ballades, ne peut épouser une nièce de fermier. Il devait couper court à tout cela. C’était une trop grande folie.

Il était si bien décidé ce matin, avant d’aller chez Gawaine ; et pourtant quelque chose s’était emparé de lui et l’avait fait revenir au galop. Il ne pouvait donc compter sur ses propres résolutions, comme il l’avait cru ; il désirait presque que son bras pût redevenir douloureux pour ne plus penser qu’à s’en guérir. Comment savoir quel pourrait être son état du lendemain dans cette place maudite, où il n’y avait rien pour l’occuper sérieusement toute la mortelle journée ? Que pouvait-il faire pour se mettre à l’abri de quelque retour de cette folie ?

Il n’y avait qu’une seule ressource : aller le dire à Irwine, lui tout raconter. Le simple fait d’en parler en ferait une chose triviale ; la tentation s’évanouirait comme le charme des mots de tendresse s’évanouit quand on les répète à des indifférents. De toute manière, ce lui serait utile de le dire à Irwine. Il irait à cheval à Broxton le lendemain, après le déjeuner.

Arthur n’eut pas plus tôt pris cette détermination qu’il commença à chercher lequel des sentiers le reconduirait à la maison par la promenade la plus courte. Il était sûr de dormir maintenant, il en avait eu assez pour le fatiguer, et il n’y avait plus de nécessité à réfléchir.