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adam bede.

pensée, une pensée dont elle est l’unique objet. Il va revoir Hetty ; c’est là le désir ardent qui n’a fait que grandir, pendant les trois dernières heures, comme une altération fiévreuse. Non pas, naturellement, pour lui parler d’un ton caressant, comme il l’a fait imprudemment avant le dîner, mais pour remettre les choses en bon ordre avec elle, par une bienveillance qui aura l’air d’une politesse amicale, et l’empêchera de se laisser aller à des idées fausses sur leurs relations mutuelles.

Si Hetty avait su qu’il était là, elle n’aurait pas pleuré, et c’eût été mieux, car Arthur alors se serait peut-être conduit aussi sagement qu’il en avait l’intention. Mais, dans cet état de choses, elle tressaillit lorsqu’il parut au bout de l’allée latérale, et leva les yeux vers lui avec deux grosses larmes roulant sur ses joues. Comment aurait-il pu ne pas lui parler d’une voix douce et consolante, comme à un épagneul aux yeux brillants qui aurait eu une épine à la patte ?

« Quelque chose vous a-t-il effrayée, Hetty ? Avez-vous vu quelque chose dans le bois ? N’ayez pas peur ; je vais vous garder à présent. »

Hetty rougissait tellement qu’elle ne savait pas si elle était heureuse ou malheureuse. Encore pleurer ! que pensaient les messieurs de filles qui pleuraient ainsi ? Elle se sentait incapable même de dire « Non, » mais ne pouvait que détourner les yeux et essuyer les larmes sur ses joues. Mais ce ne fut point avant qu’une grosse goutte ne fût tombée sur ses attaches roses ; elle s’en aperçut parfaitement.

« Allons, reprenez votre gaieté. Souriez-moi et dites-moi ce que c’était. Allons, dites-le-moi. »

Hetty tourna la tête de son côté et murmura : « J’ai cru que vous ne viendriez pas ; » et peu à peu elle prit le courage de lever les yeux vers lui. Ce regard était trop. Il eût fallu avoir des yeux de granit égyptien pour ne pas le lui rendre avec amour.