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adam bede.

se laissa tomber avec abattement sur une chaise qui était hors de sa place, au milieu de la chambre, et où en temps ordinaire elle n’eût jamais consenti à s’asseoir. Elle n’avait donné aucun soin ce jour-là à sa cuisine, salie par des souliers boueux et embarrassée d’habillements et autres objets en désordre. Mais ce qui, en d’autres temps, eût été incompatible avec les habitudes d’ordre et de propreté de Lisbeth, lui paraissait maintenant devoir être ainsi ; il était naturel que les choses eussent un air inaccoutumé et en désordre, puisque son vieux homme était arrivé si tristement à la fin de sa carrière. La cuisine ne devait point être comme s’il n’y avait pas eu de malheur. Adam, vaincu par les émotions et les agitations de cette journée, après une nuit de rude labeur, était tombé endormi sur un banc de l’atelier, et Seth s’occupait dans l’arrière-cuisine à allumer du feu avec des copeaux, afin de faire bouillir de l’eau et d’engager sa mère à prendre une tasse de thé, douceur qu’elle se permettait rarement.

Il n’y avait personne dans la cuisine quand Lisbeth entra et se jeta sur une chaise. Elle regarda avec indifférence la saleté et le désordre qu’un brillant soleil du soir faisait douloureusement ressortir ; cela s’accordait avec la triste confusion de son esprit, cette confusion qui appartient aux premières heures d’un malheur soudain, où l’âme humaine est dans le même état que celui d’un homme déposé, pendant son sommeil, au milieu des ruines d’une vaste cité et qui se réveillerait avec effroi, ne sachant plus si le jour commence ou finit, ni d’où vient cette scène illimitée de désolation et par quelle raison il s’y trouve. Dans un autre moment, la première pensée de Lisbeth aurait été : « Où est Adam ? » mais la mort soudaine de son mari lui avait redonné cette première place dans ses affections qu’il y occupait vingt-six ans plus tôt ; elle avait oublié ses fautes, comme nous oublions les chagrins de notre enfance passée, et ne voyait