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trouvé un milieu tout préparé dans la petite imagination extravagante d’Hetty. Pendant au moins trois semaines sa vie intérieure ne fut guère autre chose que le souvenir des paroles qu’Arthur lui avait adressées, ne pensant qu’à se rappeler avec quelle douce sensation elle avait entendu sa voix hors de la maison et l’avait vu entrer ; comment elle s’était aperçue que ses yeux se fixaient sur elle, et avait été envahie par la fascination de ce regard qui la pénétrait comme le parfum d’une fleur éclose à la brise du soir. Folles pensées ! n’ayant lien à faire avec l’amour que ressentent de nos jours de douces filles de dix-huit ans. Mais rappelez-vous que tout ceci arrivait il y a à peu près soixante ans, et qu’Hetty n’avait reçu aucune éducation. Ce n’était qu’une simple fille de fermier qu’un élégant gentil homme éblouissait comme un dieu de l’Olympe. Jusque-là elle n’avait point regardé dans l’avenir plus loin que la prochaine visite que le capitaine Donnithorne ferait à la ferme, ou le prochain dimanche où elle le verrait à l’église ; mais à présent elle pensait que peut-être il chercherait à la rencontrer le lendemain, quand elle irait au Château, et s’il venait à lui parler et à marcher un moment près d’elle, quand ils seraient seuls ! Cela n’était encore jamais arrivé, et maintenant son imagination, au lieu de lui retracer le passé, s’occupait à arranger ce qui pourrait survenir plus tard, à quel endroit du parc elle le verrait venir à sa rencontre ; comment elle ajusterait son nouveau ruban rose, qu’il n’avait jamais vu, ce qu’il lui dirait pour la forcer de répondre à son regard, ce regard dont le souvenir la ferait vivre et revivre tout le reste du jour !

Comment, dans une telle situation d’esprit, Hetty aurait-elle pu s’apitoyer beaucoup sur le chagrin d’Adam, ou penser à ce pauvre vieux Thias, noyé ? Les jeunes âmes, dans un délire aussi doux que le sien, ne sont pas plus sympathiques que des papillons suçant du nectar ; elles sont sépa-