Page:George Eliot Adam Bede Tome 1 1861.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
adam bede.

première chaumière que nous rencontrâmes. Alors j’allai le dire à toutes ces gens, pensant que nous entrerions dans une des maisons et que je leur ferais une lecture et prierais avec eux. Mais quand je passai près de ces cabanes et que je vis les vieilles femmes tremblotantes sur les portes et les regards durs des hommes, qui ne paraissaient pas plus s’apercevoir que c’était le matin du sabbat, que des bœufs muets qui n’ont jamais regardé le ciel, je sentis un grand mouvement en mon âme et je tressaillis comme si j’eusse été agitée par un puissant esprit entrant dans mon faible corps. J’allai là où le petit troupeau s’était réuni, je montai sur le mur bas adossé à la pente verte de la colline, et je leur dis les paroles qui m’étaient données en abondance. Tous sortirent des chaumières pour venir près de moi, plusieurs pleurèrent sur leurs fautes et se sont dès lors unis au Seigneur. Tel fut le commencement de ma prédication, monsieur, et j’ai continué de prêcher depuis ce moment. »

Dinah avait laissé tomber son ouvrage pendant ce récit, qu’elle fit avec sa simplicité habituelle, mais de cette voix basse, franche, accentuée, modulée et sympathique qui captivait toujours son auditoire. Elle s’arrêta alors pour reprendre sa couture et la continua comme auparavant. M. Irwine était profondément intéressé. Il se dit en lui-même : « Il faudrait n’être qu’un misérable fat pour vouloir faire ici le pédagogue ; on pourrait aussi bien aller sermonner les arbres sur ce qu’ils croissent suivant leur essence particulière à chacun. »

« Et vous n’éprouvez jamais aucun embarras par le sentiment de votre jeunesse et de ce que vous êtes une charmante jeune fille sur le visage de laquelle se fixent les yeux des hommes ? dit-il à haute voix.

— Non, il n’y a point en moi de telles pensées, et je ne crois pas que ceux qui m’écoutent s’en occupent jamais. Je suppose, monsieur, que lorsque Dieu fait sentir sa présence