Page:George Eliot Adam Bede Tome 1 1861.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
adam bede.

prenant une tâche à laquelle ils ne sont point propres, jettent du discrédit sur les choses saintes ?

— Sans aucun doute, cela peut arriver, car il y a eu parmi nous de mauvais travailleurs qui ont cherché à tromper les frères, et quelques-uns qui se sont trompés eux-mêmes. Mais nous ne sommes point sans moyen de discipline et de correction pour réprimer ces abus. Il y a parmi nous un ordre très-strict, et les frères et les sœurs se surveillent mutuellement comme devant rendre compte des âmes. Ils ne s’en vont point chacun de son côté en disant avec indifférence : « Suis-je le gardien de mon frère ? »

— Mais dites-moi, si j’ose vous le demander, et réellement je mets beaucoup d’intérêt à le savoir, comment vous est venue la première pensée de prêcher ?

— En vérité, monsieur, je ne l’ai point cherchée du tout. Dès l’âge de seize ans, j’étais habituée à parler à de jeunes enfants et à les enseigner quelquefois en classe, et mon cœur s’était enhardi à le faire et à prier près des malades. Mais je n’avais senti aucun appel à la prédication ; car, lorsque je ne suis pas grandement émue, je suis très-portée à m’asseoir tranquillement et à me tenir à part. Il me semble que je pourrais rester toute la journée dans le silence avec le sentiment de l’amour de Dieu inondant mon âme, comme le caillou baigné par le ruisseau des saules. Car c’est un sentiment si profond, n’est-ce pas, monsieur ? Il semble nous submerger comme une immense masse d’eau ; c’est ma manie d’oublier où je suis et tout ce qui m’entoure, pour me perdre dans des pensées dont je ne saurais rendre compte, car je ne pourrais trouver des paroles qui pussent en indiquer le commencement ou la fin. J’ai toujours été ainsi d’aussi loin que je puis m’en souvenir. Quelquefois il semblait que les idées me venaient sans aucune recherche de ma part, et les mots m’arrivaient comme viennent les larmes, quand notre cœur est plein et