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même, s’enfuient, abandonnant deux bannières sur le terrain[1] ; celles-ci sont ramassées immédiatement et on entre dans le fort.

Le capitaine Robillot, auquel le commandant Lamy vient de passer le commandement, a sous la main une section. Voyant les Baguirmiens, qui, portent ces deux bannières, il les prend un instant pour des gens de Rabah et va ordonner le feu. Heureusement pour eux et pour moi qui les accompagne, ils sont reconnus à temps. Pendant quelques secondes même, on croit voir en eux ceux dont le feu d’infanterie nous a coûté des pertes si cruelles. Mais je sais moi, qui ne les ai pas quittés, qu’ils n’ont pas tiré un seul coup de fusil, et bientôt du reste, de tous les côtés à la fois, nous parvient un récit identique quant à l’origine de cette décharge si meurtrière.

Dès mon arrivée dans le tata, j’apprends par le lieutenant Galland, blessé lui-même, les pertes que nous avons subies. Robillot me montre le corps de de Cointet : son visage est calme, presque souriant ; il n’a pas du tout souffert.

De là je vais voir le commandant Lamy qu’on a porté sous la propre tente de Rabah. Il est couché sur un lit (angareb) fait avec des lanières en peau, sur lesquelles se trouve un tapis épais.

Le docteur Allain est occupé à le panser ; une balle lui a traversé le bras et a atteint la poitrine. Il est en pleine connaissance et me tend la main ; très ému, je m’assieds à côté de lui ; il cause encore très facilement. « Et Rabah ? me demande-t-il. En a-t-on des nouvelles ? ». Je lui réponds qu’on le croit en fuite. Le lieutenant de Chambrun, qui se trouve sous la même tente, est assis à côté de nous ; il souffre beaucoup. On ne peut pas encore se prononcer sur la gravité de sa blessure.

De nouvelles décharges se succèdent alors ; je quitte la tente et je vais aux informations. C’est l’artillerie qui ouvre le feu sur les fuyards, car ceux-ci, s’étant rencontrés avec les troupes de la mission Saharienne, ont obliqué à droite et essaient de traverser la rivière.

  1. Voir Note 7.