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Tchiroma qui était ton hôte à Massénia et auquel j’avais confié l’éducation de mon fils. Presque tous des traîtres, mes grands seigneurs, qui ont voulu à un moment donné m’abandonner pour aller se soumettre au maudit (nom sous lequel il désigne Rabah).

« Oui, continua-t-il, si je n’avais pas été prévenu à temps, le guermané avait formé le projet de se faire nommer sultan à ma place par Rabah. Il était tout prêt à partir, quand je l’ai fait appeler. Il fut mis incontinent à la chaîne et lorsqu’il eut avoué sa trahison je lui fis trancher la tête.

« Vois-tu, si tu n’étais pas venu et si vous n’aviez pas battu le maudit, j’étais perdu, et ce qu’on avait essayé une fois sans succès se serait reproduit plus tard. »

C’est d’un ton mélancolique et en même temps avec des accents passionnés qu’il me fit ce récit. Il fallait que réellement il eût passé par de vilains moments pour abandonner sa douce philosophie d’Épicurien…

Revenant ensuite au combat de Togbao, il ne cessa de témoigner du courage des nôtres.

« Pour moi, me dit-il, je suis resté jusqu’au dernier moment, voulant mourir avec tes frères. Mes esclaves m’entourèrent alors et me traînèrent hors du combat. Regarde les deux blessures que j’ai reçues à ce moment, — et il me faisait voir son bras couturé de deux cicatrices profondes provenant évidemment de balles… Maintenant les mauvais jours sont finis, je te revois et je suis heureux, j’ai confiance en toi et tous les miens vont me suivre.

J’ai déjà fait justice des traitres, je continuerai encore si cela est nécessaire. Il faut que tu voies ce que j’ai fait du M’Baroma. »

En me disant ces mots, il donna l’ordre de faire venir devant moi le personnage en question.

Celui-ci se présenta simplement vêtu, les chaînes aux pieds et aux mains, la figure couverte d’un voile qui lui venait jusque sous les yeux. Ce voile enlevé, je m’aperçus avec horreur que ce malheureux avait eu le nez, les oreilles et les lèvres coupés. Je ne pus réprimer un mouvement d’effroi, et je dis à Gaourang : « Tu aurais mieux fait de le tuer que de lui infliger pareille tor-