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terre avançait ainsi, nous continuions le feu à bord du vapeur, qui était, lui aussi, le point de mire de l’ennemi. Un obus tomba si près que nous fûmes tout couverts d’eau ; mais la mobilité du but empêchant la rectification du tir, la plupart des projectiles tombaient ou trop bas ou trop haut, c’est-à-dire dans le banc de sable ou dans l’eau, où ils s’enfonçaient sans éclater. Le tir de la mousqueterie au contraire était plus efficace, et si le navire n’avait été protégé par des plaques d’acier, il y a grande probabilité que nous aurions eu beaucoup de monde atteint.

Jusqu’à midi nous n’eûmes personne de touché, sinon mon cuisinier Louis, qui reçut une balle dans la jambe. À ce moment, du côté de l’ennemi, il y avait du flottement. Un fort parti de tirailleurs était revenu sur la falaise et nous criblait de balles ; derrière lui, on apercevait très nettement des masses nombreuses qui semblaient fuir[1]. C’étaient en effet des fuyards. Nous tirons à force sur ces masses ; le tir est très bien réglé et produit beaucoup d’effet.

On voit les petits obus éclater au beau milieu des groupes. Notre vigie, un Pahouin placé sur la toiture, nous signale les points de chute. Le chef de la bande qui tirait sur nous tombe bientôt, atteint par un obus de canon-revolver ; nous le voyons s’adosser à un arbre, entouré par ses soldats qui s’empressent. Un deuxième coup le frappe de nouveau et nous le voyons s’incliner par terre, sans mouvement. Nous sûmes plus tard que c’était Othman Cheiko, le gouverneur de Koussouri.

Sans chef, les tirailleurs ennemis se replient, la masse des fuyards augmente. Nous nous lançons après elle pour l’accabler de notre feu, quand un signal convenu nous rappelle à notre poste. On a besoin de munitions. J’en renvoie. Il est midi et demi. Les feux de salve se succèdent avec rapidité ; les obus éclatent, l’ennemi répond vigoureusement ; puis peu à peu, son feu s’éteint presque complètement.

J’entends sonner la charge. On aperçoit les baïonnettes qui

  1. Un prisonnier que nous fîmes nous raconta même que Rabah avait pris la fuite. Cette nouvelle n’était pas exacte.