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SAINT CLÉMENT D’ALEXANDRIE.

en leur qualité de maux, ils sont diamétralement opposés aux biens, et qu’il est impossible que le même homme réunisse en même temps les contraires.

Le chrétien qui poursuit, sans mériter un seul reproche, le rôle de la vie dont Dieu l’a chargé sur ce théâtre du monde[1], connaît donc ce qu’il faut faire et ce qu’il faut endurer. La pusillanimité n’a-t-elle pas son origine dans l’ignorance des objets réellement formidables ou non ? J’en conclus que le Gnostique lui seul a du courage, puisque seul il connaît les biens présents et à venir. Éclairé, comme je viens de le dire, sur les maux qui ne sont pas à redouter, et persuadé que le vice lui seul est la ruine et la mort de ceux qui marchent vers la connaissance, muni des armes de Dieu, il livre au vice une guerre de tous les moments. Qu’il échappe à la faiblesse humaine quelque surprise, soit par imprudence, soit par opération, ou, pour mieux dire, par coopération de Satan, ce n’est point là une imprudence habituelle, ni une malice diabolique. Point d’acte, en effet, qui soit la prudence, puisque la prudence est une manière d’être, et que nulle œuvre, n’importe laquelle, n’est la prudence. L’action qui a lieu par ignorance n’est donc pas l’ignorance, mais le vice est amené par l’ignorance, sans toutefois se confondre avec elle. En effet, ni les passions ni les fautes ne sont des vices, quoiqu’elles procèdent du vice. Quiconque se montre courageux en dehors de la raison, n’est donc pas véritablement Gnostique. Autrement il faudrait honorer du nom de courage l’impassibilité de quelques enfants devant un péril dont ils n’ont pas l’idée[2]. Ne les voyons-nous pas chaque jour toucher ainsi au feu ? Eh bien ! alors, qu’on attribue au même titre la bravoure aux bêtes féroces qui se précipitent aveuglément au milieu des lances et des piques ! qu’on proclame le courage de ces histrions de nos places publiques qui, bondissant avec une certaine adresse sur des épées, exercent pour un

  1. Voyez l’Enchiridion d’Épictète, chap. xxiii.
  2. Voyez le Lachès de Platon. « Non, je n’appelle point courageux, » etc.