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SAINT CLÉMENT D’ALEXANDRIE.

et comme une assimilation avec les âmes des bêtes. Voilà pourquoi les Juifs s’interdisent avec tant de scrupule la chair du pourceau, animal qui, poussé par des instincts pervers, déterre et ruine les moissons d’autrui.

Mais les animaux ont été donnés à l’homme pour son usage. — Pour son usage, nous en convenons avec vous ; mais pas absolument pour lui servir de nourriture. Quelques-uns seulement ont reçu cette destination, et parmi ces derniers, ceux qui ne travaillent point[1]. Voilà pourquoi Platon le comique, dans sa comédie Des Fêtes, dit avec raison[2] :

« Nous ne devons plus à l’avenir immoler aucun quadrupède, à l’exception du pourceau. Mort, sa chair, est pleine de saveur ; vivant, en fait d’utilité, il ne nous revient de lui, que de la soie, de la boue et des cris. »

C’est ce qui a fait dire à Æsope : « aussitôt que l’on tire le pourceau, il crie à pleine gorge, sentant bien qu’il n’est bon que pour les sacrifices. » Aussi Cléanthe a-t-il dit que cet animal avait reçu une âme en guise de sel, pour empêcher sa chair de se corrompre. » Les uns donc s’en nourrissent parce qu’il est inutile ; les autres, parce qu’il ruine les moissons ; ceux-là s’en abstiennent parce que c’est un animal ardent en amour. Telle est aussi la raison pour laquelle la loi ne sacrifie pas de bouc, excepté dans le cas unique du bouc émissaire pour l’éloignement des péchés, parce que la volupté est la mère de tous les maux. On assure d’ailleurs que l’usage de la chair du bouc dispose à l’épilepsie, et que celle du pourceau amène l’obésité. Cet aliment peut donc être utile à ceux qui exercent le corps. Mais si vous travaillez au développement de l’âme, il n’en va pas de même : l’habitude de cette nourriture épaissit l’intelligence. Il n’est pas impossible que le Gnostique, pour amortir la violence de la lutte,

  1. Un homme fut mis à mort autrefois pour avoir immolé le bœuf travailleur. Un Romain paya de l’exil la même action. (Voyez Pline le naturaliste, liv. VIII, ch. xlv.)
  2. Voyez Cicéron, De la nature des dieux.