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de s’avilir autant que le maître qu’ils redoutaient : ils affectaient le vice comme le premier Brutus avait feint la folie. Le plus grand nombre s’y plongeait tout entier, abusant ainsi sans péril des richesses de leurs aïeux et des anciennes dépouilles du monde ; et comme l’historien grec nous montre, dans la peste d’Athènes, tous les excès et tous les désordres se multipliant par la vue prochaine de la mort, ainsi, devant la dévorante contagion de la tyrannie, chacun se hâtait de rassasier de plaisirs une vie précaire et menacée.

La corruption du peuple était encore peut-être plus hideuse que celle des grands. Les plus honteuses folies des empereurs étaient destinées à lui plaire ; leurs infamies étaient pour lui le contre-poids de leurs crimes. N’ayant eu longtemps d’autre culture morale que la discipline républicaine, il perdait tout en la perdant ; et depuis qu’il n’était plus citoyen, il était tombé au-dessous même de l’homme.

S’il faut en croire Juvénal, les idées d’une Providence vengeresse ne conservaient plus aucune autorité sur cette multitude. Les arguments de Lucrèce contre les punitions d’une autre vie, les confidences philosophiques de César dans le Sénat romain étaient devenus la science du vulgaire ; et les enfants même ne croyaient plus aux fables du Tartare.

Mais comme il y a dans l’ignorance une crédulité qui change d’objet, et ne se guérit pas, cette multitude, indifférente aux anciens rites de la patrie, était abandonnée à mille sorcelleries bizarres. Ce nombre prodigieux d’esclaves qui formaient dans l’Italie une autre classe de peuple augmentait encore la masse des vices, et apportait avec lui une foule de superstitions étrangères. Cette race d’hommes, vivant au milieu de l’abjection et des supplices, était la pire de toutes, parce qu’elle avait les vices de ses maîtres et les siens. Tous ces mélanges de corruptions diverses élevaient dans l’atmosphère romaine autant de vapeurs impures dont quelques provinces éloignées avaient à peine évité l’atteinte.

À la régularité de l’ancien culte romain succédaient ces religions de débauche inventées dans la mollesse et l’oisiveté de