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après quelque intervalle, Domitien, on conçoit comment cette publicité du crime couronné dut profondément avilir les âmes, effacer toutes les empreintes natives de justice et d’humanité, ébranler la conscience du genre humain, et faire douter d’une providence dont le néant paraissait encore moins inconcevable que la patience.

Tous les écrivains rendent témoignage de cette incrédulité, et la confondent avec l’horrible dépravation de mœurs où tombèrent les Romains sous le règne des premiers Césars. Philon, qui vivait à l’époque de Caligula, se plaint que le monde était alors peuplé d’athées. Les poëtes, les philosophes, nous retracent les vices les plus infâmes comme l’occupation familière des hommes de leur temps. Des prodiges de débauche, que le délire d’une imagination criminelle oserait à peine concevoir dans la solitude du vice, étaient les spectacles et les fêtes de Rome. La folie du pouvoir absolu livrait les passions d’une Messaline et d’un Néron à tous leurs caprices ; et, par un des plus honteux avilissements de l’espèce humaine, les rêves bizarres du vice, les monstrueux désirs de la volupté devenaient des événements publics, et figurent dans les annales de l’historien. La cruauté se joignait à la débauche, suivant le génie du cœur humain corrompu. On jetait des hommes dans les rivières ou s’engraissaient les murènes ; on achetait le plaisir de couper la tête d’un homme ; le sang coulait dans un festin, comme au Cirque. La mort était toujours de quelque chose dans les plaisirs des Romains.

Le plus grand des maux de la tyrannie, c’est de dépraver ceux qu’elle opprime. Ainsi, tandis que les ombrages de Caprée recélaient la vieillesse souillée de Tibère ; tandis que les jardins de Claude retentissaient des débauches de Messaline ; tandis que le palais de Néron, agrandi sur les cendres de Rome, enfermait dans son enceinte jusqu’à de nouveaux repaires de prostitution publique, les premiers citoyens, corrompus par le désespoir d’arriver à quelque chose de grand, dégradés par l’esclavage et par la crainte, se livraient aux distractions de la volupté. Quelques-uns y cherchaient une sécurité en tâchant