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circonstances. Ceux qui allaient se présenter d’eux-mêmes aux magistrats pour les détromper de la fausse opinion qu’ils avaient eu du Christianisme, pour leur prouver la vérité de cette religion et l’innocence des Chrétiens, pour leur montrer l’injustice et l’inutilité des persécutions, etc., ne doivent point être taxés d’un faux zèle : leur motif n’était pas de se dévouer à la mort, mais d’en préserver leurs frères. Autrement il faudrait condamner saint Justin lui-même ; personne n’a encore eu cette témérité.

Ce Père a dit que Socrate et les autres païens qui ont vécu d’une manière conforme à la raison étaient Chrétiens, parce que Jésus-Christ, fils unique de Dieu, est la raison souveraine à laquelle tout homme participe. De là on conclut que selon saint Justin les païens ont pu être sauvés par la raison ou par la lumière naturelle seule : ce qui est l’erreur des Pélagiens. Un incrédule de nos jours a trouvé bon d’aggraver ce reproche, en falsifiant ce passage : Selon saint Justin, dit-il, celui-là est Chrétien, qui est vertueux, fût-il d’ailleurs athée. (De l’homme, tom. 1, sect. 2, chap. xxvi.)

Voici les paroles de ce Père (Apol. 1, n° 46) : « On nous a enseigné que Jésus-Christ est le premier-né de Dieu, et la raison souveraine, à laquelle tout le genre humain participe comme nous l’avons déjà dit. Ceux qui ont vécu selon la raison sont Chrétiens, quoiqu’ils aient été réputés athées ; tels ont été, chez les Grecs, Socrate, Héraclite, etc. » Or, Socrate ni Héraclite n’étaient pas athées, quoiqu’on en ait accusé le premier (Apol. 2, n° 10,) : « Tout ce que les philosophes et les législateurs ont jamais pensé ou dit de bon et de vrai, ils l’ont trouvé en considérant et en consultant en quelque chose le Verbe ; mais comme ils n’ont pas connu tout ce qui vient du Verbe, c’est-à-dire de Jésus-Christ, ils se sont contredits…, et ils ont été traduits en justice comme des impies et des hommes trop curieux. Socrate, l’un des plus décidés de tous, a été accusé du même crime que nous. » Nous savons très-bien qu’il n’est pas exactement vrai que ces philosophes aient été Chrétiens, en prenant ce terme à la rigueur ; mais ils l’ont été en quelque chose, en tant qu’ils ont consulté et suivi la droite raison, comme font les Chrétiens, et qu’ils ont été accusés d’athéisme, aussi bien qu’eux, précisément parce qu’ils étaient plus raisonnables que les autres hommes. Dans le même sens, Tertullien a dit (Apol. chap. xxi) que Pilate était déjà Chrétien dans sa conscience, lorsqu’il fit savoir à l’empereur Tibère ce qui s’était passé dans la Judée au sujet de Jésus-Christ. S’ensuit-il de là que saint Justin a cru le salut des païens dont il parle ? Si l’on veut consulter son dialogue avec Tryphon (nos 45 et 64), on verra qu’il n’admet point de salut que par Jésus-Christ et par sa grâce ; mais en parlant à des païens, ce n’était pas le lieu de