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rien à redouter de sa justice. Il pensait donc que Dieu se sert des anges comme de ministres pour exécuter ses volontés, mais qu’ils ne font rien que par ses ordres ; les païens regardaient leurs dieux comme des êtres indépendants, à la discrétion desquels le gouvernement du monde était abandonné. Ces opinions sont fort différentes.

Ce même critique tourne en ridicule saint Justin, parce qu’il a fait remarquer partout la figure de la croix, dans les mâts des vaisseaux, dans les enseignes des empereurs, dans les instruments du labourage, etc. Cela valait-il la peine de lui faire un reproche amer ? Sa pensée se réduit à dire aux païens : puisque vous avez tant d’horreur de la croix, à laquelle les Chrétiens rendent un culte, ôtez-en donc la figure des mâts de vos vaisseaux, de vos enseignes militaires et des instruments du labourage.

Il a trop loué la continence, dit Barbeyrac ; il semble regarder comme illégitime l’usage du mariage. Mais dans quel cas ? Lorsqu’on se le permet pour satisfaire les désirs de la chair, et non pour avoir des enfants ; il s’en explique assez clairement. D’ailleurs le passage que cite notre censeur est tiré d’un fragment du Traité sur la Résurrection, qui n’est pas universellement reconnu pour être de saint Justin. Si dans la suite Tatien, son disciple, a poussé l’entêtement jusqu’à condamner absolument le mariage, il n’est pas juste d’en rendre responsable saint Justin, qui n’a point enseigné cette erreur. Nous convenons que, comme tous les Pères, il a fait de grands éloges de la chasteté et de la continence ; mais il est assez établi contre les protestants que ce n’est point là une erreur, puisque c’est la pure doctrine de Jésus-Christ et des apôtres.

Il a rapporté sans restriction la défense que Jésus-Christ a faite de prononcer aucun jurement ; nous soutenons encore qu’en cela il n’est point répréhensible, non plus que les autres Pères. Il n’a pas expressément désapprouvé l’action d’un jeune Chrétien, qui, pour convaincre les païens de l’horreur que les Chrétiens avaient de l’impudicité, alla demander au juge la permission de se faire mutiler ; qui cependant ne le fit point, parce que cette permission lui fut refusée (Apol. i, n° 9). Mais ce Père ne l’approuve pas formellement non plus ; il ne cite ce fait que pour montrer combien les Chrétiens étaient incapables des désordres dont les païens osaient les accuser.

De même il n’a pas expressément blâmé ceux qui allaient se dénoncer eux-mêmes comme Chrétiens et s’offrir au martyre (Apol. ii, nos 4 et 12), conduite que d’autres ont condamnée. Aussi soutenons-nous que cette démarche ne doit être ni approuvée, ni condamnée absolument et sans restriction, parce qu’elle a pu être louable ou blâmable, selon les motifs et les