Page:Genoude - Les Pères de l'Eglise, vol. 2.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

scrupuleuse qu’on l’exige aujourd’hui ; les adversaires contre lesquels les Pères écrivaient n’étaient pas des critiques aussi rigoureux que les hérétiques de nos jours : les Juifs ni les païens ne connaissaient pas plus les subtilités de grammaire que les Pères de l’Église. Les premiers admettaient les explications allégoriques de l’Écriture-Sainte : on croyait pour lors les faits sur lesquels saint Justin et les autres Pères argumentaient ; des raisonnements qui nous semblent aujourd’hui moins solides avaient du moins alors une force relative, à cause des opinions universellement répandues. Il y a de l’injustice de la part de ces critiques à blâmer les Pères de s’en être prévalus.

Le respect de saint Justin et des autres Pères pour la version des Septante ne venait pas de ce qu’ils la croyaient exactement conforme au texte, mais de ce qu’ils la voyaient citée par les apôtres ; ils ne pensaient pas que ces auteurs inspirés eussent voulu se servir d’une version fautive, sans avertir les fidèles qu’il fallait s’en défier. Cette conduite des Pères nous paraît plus louable que l’affectation des hérétiques à décrier cette version.

Nous ne ferons pas non plus un crime à saint Justin d’avoir ajouté foi à ce que les Juifs d’Alexandrie publiaient touchant les cellules des soixante-douze interprètes ; c’est une preuve de la vénération religieuse que les Juifs hellénistes avaient pour leur version ; ni de ce qu’il a répété ce qu’on lui avait dit touchant la Sibylle de Cumes ; ni de s’être trompé peut-être, en prenant le dieu Semosancus pour Simon le magicien. Une crédulité facile sur des faits peu importants n’est point une marque d’ignorance ni d’esprit borné, mais de candeur et de bonne foi. Il n’y a pas de prudence de la part des protestants à insister sur la crédulité des anciens ; jamais secte n’a été plus crédule que la leur à l’égard de toutes les fables et de toutes les impostures qu’on leur a débitées contre l’Église catholique.

Barbeyrac, dans son Traité de la morale des Pères (6, 2, 4, 11), a reproché d’autres erreurs à saint Justin. « Selon lui, dit-il, Dieu, en créant le monde, en a confié le gouvernement aux anges. » Ainsi ce Père n’attribue à Dieu qu’une providence générale (Apol. 2, chap. v). C’était confirmer l’erreur des païens touchant les dieux secondaires. Mais dans cet endroit même (chap. vi,) saint Justin dit que les noms Dieu, Père, Créateur, Seigneur, Maître, ne sont pas des noms de la nature divine, mais des titres d’honneur tirés des bienfaits et des opérations de Dieu : or, ces titres ne lui conviendraient pas, s’il n’avait qu’une Providence générale. Dans le Dial. avec Tryphon, n° 1, il condamne les philosophes qui prétendaient que Dieu ne prenait aucun soin des hommes en particulier, afin de n’avoir