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de la religion, et vous ne vous souciez point du culte de l’immortel ; et parce que les Chrétiens l’honorent, vous les chassez et vous les persécutez jusqu’à la mort. Plusieurs gouverneurs de province ayant écrit à mon père touchant ceux de cette religion, il défendit de les inquiéter, à moins qu’ils n’entreprissent quelque chose contre le bien de l’état ; quand on m’a écrit sur le même sujet, j’ai fait la même réponse : que si quelqu’un continue à accuser un Chrétien à cause de sa religion, que l’accusé soit renvoyé absous, quand il paraîtrait effectivement être Chrétien, et que l’accusateur soit puni. »

L’emprisonnement de Péregrin, arrivé vraisemblablement sous l’empire d’Antonin, est une nouvelle preuve de la persécution dont il est parlé plus haut. Lucien, de qui nous tenons l’histoire de ce philosophe, raconte d’abord que, dans sa jeunesse, il tomba dans des crimes honteux, pour lesquels il pensa perdre la vie en Arménie et en Asie. Ensuite il continue en ces termes : « Je ne veux pas insister sur ces crimes ; mais je crois que ce que je vais dire est bien digne d’attention. Aucun de vous n’ignore que, fâché de ce que son père, qui avait déjà passé sa soixantième année, ne mourût point, il l’étouffa. Le bruit d’un si noir forfait s’étant répandu, il montra qu’il en était coupable en prenant la fuite ; il alla en divers pays pour chercher le lieu de sa retraite, jusqu’à ce qu’étant venu en Judée, il apprit la doctrine admirable des Chrétiens, en conversant avec leurs prêtres et leurs scribes. En peu de temps, il leur montra qu’ils n’étaient que des enfants auprès de lui ; car il ne devint pas seulement prophète, mais chef de leur congrégation ; en un mot, il leur tenait lieu de tout ; il expliquait leurs livres, et en composait lui-même, en sorte qu’ils en parlaient comme d’un dieu, et qu’ils le considéraient comme un législateur et leur surintendant. Cependant ces gens adorent ce grand homme qui a été crucifié dans la Palestine, parce qu’il est le premier qui ait enseigné aux hommes cette religion. Sur ces entrefaites, Péregrin ayant été arrêté et mis en prison, à cause qu’il était Chrétien, cette disgrâce le combla de gloire, qui était tout ce qu’il désirait avec ardeur, le mit en plus grand crédit parmi ceux de cette religion, et lui donna la puissance de faire des prodiges. Les Chrétiens, extrêmement affligés de sa détention, firent toutes sortes d’efforts pour lui procurer sa liberté, et comme ils virent qu’ils n’en pouvaient venir à bout, ils pourvurent abondamment à tous ses besoins, et lui rendirent tous les devoirs imaginables. On voyait dès le point du jour, à la porte de la prison, une troupe de vieilles, de veuves et d’orphelins, et une partie d’entre eux passait la nuit avec lui, après avoir corrompu les gardes par argent ; ils y prenaient ensemble des repas préparés avec soin, et ils s’y entretenaient entre eux de discours religieux ; ils appelaient cet excellent Péregrin, le nouveau Socrate. Il y vint même des députés chrétiens de plu-