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Mél. Non, car je vous ſuppoſe aſſez raiſonnable pour n’en point avoir. Et vous Cénie, vous trouviez-vous charmante ?

Cén. Oh non, Maman, mais —

Mél. Achevez.

Cén. Je croyois ma figure plus régulière qu’agréable, & j’aurois mieux aimé avoir celle de ma ſœur.

Mél. Fort bien, vous vous trouviez belle : en vérité, mes enfants, vous étiez folles toutes les deux. — Mes cheres amies, vous aviez l’une et l’autre une figure paſſable, plutôt bien que mal ; mais voilà tout.

Iph. Ce n’eſt pas ce qu’on diſoit.

Mél. Quand vous connoîtrez le monde, vous ſaurez, mes enfants, comme on doit compter ſur les louanges.

Cén. Ah ! ſi le monde eſt menteur, je ne l’aimerai pas.

Mél.Il faut le connoître, s’en défier ; ne le point haïr, parce qu’il y faut vivre ; & s’en faire eſtimer, parce qu’il nous juge.

Iph. S’il eſt trompeur, je le fuirai.

Mél. Il ne trompe que ceux que l’amour-propre aveugle, les ſots ou les foux. Il eſt injuſte quelquefois, mais il revient de ſes préventions. Il eſt plus léger que méchant, plus frivole que dangereux ; enfin, il n’eſt pas mépriſable, car toujours il honore, il reſpecte la vertu, & même, en tolérant le vice, il le démaſque & le punit. Plus il y aura d’hommes raſſemblés, plus on trouvera de défauts & de travers ; ainſi en ſouffrant de ceux du monde, on les doit excuſer.