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Zir. Je ne reviens pas de ma ſurpriſe ; je n’aurois jamais cru pouvoir m’accoutumer à lui.

Phé. Cela eſt tout ſimple, vous ne vouliez pas l’écouter ; vous ne connoiſſiez ni les charmes de ſon caractère, ni les agréments de ſon eſprit.

Zir. Il eſt d’une bonté, d’une délicateſſe — Il a même beaucoup de graces. — Comme le ſon de ſa voix eſt touchant !

Phé. Enfin donc, vous n’en avez plus peur ?

Zir. Ah ! je l’eſtime trop pour le craindre — mais l’intérêt qu’il m’inſpire me fait éprouver je ne ſais quoi de triſte & de douloureux que je ne puis définir. Hier je n’avois pour lui que la pitié qu’on doit aux malheureux ; je m’attendriſſois ſur ſon ſort ; mais cette compaſſion ne me cauſoit pas la mélancolie qui m’abſorbe aujourd’hui : je penſe à lui malgré moi, & je n’y puis penſer qu’avec un ſerrement de cœur inexprimable.

Phé. Cela eſt ſingulier — car enfin hier il étoit fort à plaindre ; & aujourd’hui qu’il eſt bien traité par vous, il eſt ſatisfait. Pourquoi donc votre pitié s’accroît-elle quand ſes malheurs diminuent ?

Zir. Une idée ſe préſente ſans ceſſe à mon eſprit, & me tourmente. — Il eſt impoſſible de le voir pour la premiere fois ſans étonnement & ſans frayeur.

Phé. Eh bien, que lui importe, ſi vous êtes pour jamais guérie de cette première impreſſion ?

Zir. Je voudrois qu’on lui rendît juſtice ;