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cruel ; elle conduit à la haine la plus odieuſe, la plus noire de toutes les paſſions.

Iſm. Un cœur ſenſible ne l’éprouvera donc jamais ?

Agar. Un cœur ſenſible peut s’égarer. — l’orgueil, mon Fils, peut corrompre l’ame la plus tendre, & la livrer à toutes les fureurs de la vengeance.

Iſm. Ah ! Maman, ſi j’ai de l’orgueil, mettez tous vos ſoins à m’en corriger.

Agar. La raiſon ſeule doit nous en garantir. L’Auteur de la nature n’a rien fait que de bon ; nous lui devons toutes nos vertus ; & nos vices ſont notre ouvrage.

Iſm. Nous naiſſont donc ſans orgueil ?

Agar. Dieu imprima dans nos cœurs un deſir ſalutaire qui nous porte à nous diſtinguer, à rechercher la gloire.

Iſm. C’eſt l’amour-propre ?

Agar. Oui, mon Fils, c’eſt ce principe divin qui fait les Héros & les grands Hommes ; alors il eſt pur, & tel que Dieu nous l’a donné : mais l’homme corrompu abuſe de ce don précieux ; il le dénature, l’avilit, le tourne ſur des objets vains & frivoles ; enfin, il en fait l’orgueil.

Iſm. Maman, Dieu eſt bon ; quand nous ſuivons ſa foi, il doit donc nous aimer.

Agar. Il eſt alors notre Pere.

Iſm. Pourquoi donc gémiſſez-vous ? Pourquoi ſommes-nous ſans appui, ſans ſecours dans ce déſert ?

Agar. Il veille ſur nous, & ne veut que nous éprouver.