Page:Genlis - Theatre a l usage des jeunes personnes 1 (1781).djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mél. Moi ! point du tout. Voilà préciſément ce que je ne ſuis pas ; & puis la diſſipation dans laquelle je vis, me laiſſe-t-elle le temps de réfléchir ? — J’aime le monde, mais j’aime encore mieux ma niece ; & ſi j’avois moi-même plus d’inſtruction, j’aurois tout quitté avec joie pour me conſacrer entiérement à l’éducation de Lucie.

Dor. Perſonne n’eſt plus en état que Madame.

Mel. Non, je me rends juſtice ; je n’ai nul talent, je ne ſais rien ; j’ai eu des maîtres dans ma jeuneſſe, mais je fus élevée dans un couvent, voilà la meilleure excuſe que je puiſſe donner de mon ignorance. Enfin, Lucie m’eſt chere au-delà de l’expreſſion ; je ſuis veuve, je n’ai point d’enfants, elle eſt ma ſeule héritière ; je ne veux pas qu’elle puiſſe me reprocher un jour la négligence dont mille fois au fond du cœur je n’ai pu m’empêcher d’accuſer mes parents à mon égard.

Dor. Mademoiſelle Lucie eſt bien digne de votre tendreſſe ; elle eſt charmante.

Mél. Voilà ce que vous lui répétez ſans ceſſe, & ce que je lui dis ſouvent moi-même ; & nous avons tort, nous la gâtons.

Dor. Ah ! Madame, ce n’eſt pas un caractere comme le ſien qu’on peut gâter.

Mél. Il eſt vrai qu’elle eſt plus formée qu’on ne l’eſt ordinairement à ſon âge. — Par exemple, ſa facilité à contrefaire tout le monde, eſt une choſe que je n’ai vue qu’à elle.

Dor. Et elle n’a pas quatorze ans.

Mél. Il eſt certain qu’elle promet beaucoup ;