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LE MALENCONTREUX.

j’avois eue dans cette occasion ; il me savoit un gré infini de n’avoir point accompagné sa fille jusqu’au château, et de m’être séparé d’elle sans lui demander son nom et sans lui dire le mien. Ainsi, pour la première fois de ma vie, ma gaucherie et ma distraction, loin de me nuire, me furent très utiles dans cette occasion. M. Merton connut, à n’en pouvoir douter, que j’étois un homme simple et sans prétentions, et que l’on pouvoit recevoir sans danger. Il me fit promettre que je retournerois souvent chez lui, et je pris cet engagement avec grand plaisir.

Miss Lucy, âgée de dix-huit ans, n’étoit pas sans doute la plus belle personne de Londres, mais elle avoit un éclat éblouissant, des manières très-douces et le maintien le plus modeste ; elle parloit assez bien le françois, quoiqu’elle eût beaucoup d’accent, mais elle avoit des expressions favorites qui me parurent d’abord un peu étranges, d’autant plus qu’elle les répétoit continuellement ; entr’autres, elle plaçoit presque en toute occasion les mots choquans et délica-