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LE MALENCONTREUX.

que j’avois conservé une lettre de recommandation pour Lauzanne, je me rendis dans cette ville. J’y trouvai une multitude d’émigrés ; je m’applaudissois du bonheur de rencontrer tant de compatriotes : mais on m’apprit qu’ils étoient divisés en soixante-douze ou soixante-treize partis qui tous se détestoient mutuellement. J’imaginai que chaque faction donnoit apparemment une préférence exclusive à une sorte de gouvernement ; et comme je n’en connoissois que trois ou quatre formes, j’admirois à quel point, en si peu d’années, les idées morales, politiques et législatives s’étoient étendues ; mais je connus bientôt que ces soixante-treize partis se piquoient peu de réfléchir et de raisonner, et que la cause de leur division ne venoit que de la différence qui se trouvoit dans les époques de leur émigration ; chacun blâmant ceux qui s’étoient expatriés avant, ou surtout après lui. Pour moi, qui ne haïssois personne, je fus mal accueilli de tous, et je pris le parti de me renfermer dans ma chambre, et de n’en plus sortir,