Page:Genlis - Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques, tome 2, 1804.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
LE MALENCONTREUX.

vant ces paroles, il me tourna le dos, et me laissa pétrifié. Cependant ce discours me parut si absurde, qu’après un moment de réflexion, j’imaginai que mon maître étoit ivre ; je l’avois vu plus d’une fois dans cet état, et je ne doutai point qu’il n’y fût encore. Hélas ! il n’avoit parlé que trop sensément ! En effet, chaque paysan de ce canton, considérant toute nouveauté comme une innovation dangereuse, se l’interdit avec scrupule, et ne souffre pas qu’aucun autre l’introduise. Mon jardin, entouré d’une simple haie, fut entièrement bouleversé pendant la nuit, et l’on détruisit en une heure les travaux de sept mois !… Lorsqu’au point du jour, je vis les traces de ce dégât, mes plates-bandes labourées, mes couches détruites, mes cloches brisées, mes melons enlevés, l’étonnement et la douleur me rendirent immobile : je connoissois depuis long-temps le chagrin, la tristesse et les regrets ; mais, dans ce moment, j’éprouvois une peine plus accablante encore, et qui m’étoit nouvelle : pour la première fois, je me