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LE MALENCONTREUX.

nois là une vie très-heureuse ; je m’attachois chaque jour davantage à l’hermite, j’en étois aimé ; je ne sortois point de l’île, je travaillois beaucoup, et j’éprouvois qu’en dépit du sort on peut être heureux, lorsqu’il reste un cœur sensible, une bonne conscience, et un petit morceau de terre à cultiver. Un jour, l’hermite étant un peu malade, je fus obligé d’aller, à sa place, au village prochain, chercher notre provision de pain et d’eau ; mais parlant fort mal le jargon du pays, on connut aisément que j’étois Français, et je reçus un très-mauvais accueil : j’imaginois qu’on me prenoit encore pour un sorcier ; mais je compris bientôt qu’on avoit des idées beaucoup plus funestes ; car on disoit confusément autour de moi que j’étois, suivant toutes les apparences, un des assassins des Suisses. En se livrant à ces sinistres conjectures, ces villageois répétoient, à chaque minute, ces deux mots, 10 août ; mots terribles dont je ne compris pas le sens alors. Je conservai une assez bonne contenance ; je feignis de ne