Page:Genlis - Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques, tome 2, 1804.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
LE MALENCONTREUX.

quantité de comestibles, avec la double intention, disoit-on, de faire baisser les assignats et d’affamer le peuple. Je répondis avec la sincérité qui me caractérise ; ma justification parut ridicule, elle excita plusieurs fois le rire des auditeurs : cependant on fut frappé de ma simplicité, on jugea que je n’étois qu’un imbécile ; on se contenta de me bannir de la France, en m’assurant que je devois me trouver infiniment heureux d’en être quitte à si bon marché. Quelques amis, touchés de mon infortune, me donnèrent généreusement des lettres-de-change tirées sur un banquier de Bâle, et je m’acheminai tristement vers la Suisse. Je ne restai à Bâle que le temps nécessaire pour toucher une centaine de louis que me valurent mes lettres-de-change. Je mis cet argent dans une ceinture cachée sous mes habits, et je me rendis à pied dans les petits Cantons. J’y fus reçu avec hospitalité ; je me fixai dans le canton de Schwitz, où je passai deux mois dans une chaumière. J’allois tous les matins sur les montagnes ; là,