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LE MALENCONTREUX.

personnes qui m’étoient si chères, je vis le vaisseau s’éloigner… Bientôt je ne vis plus que la vaste mer !… L’objet de mes sentimens et de mes vœux m’échappoit ; il se perdoit dans une effrayante immensité… Triste et frappante image de la mort qui, nous arrachant à l’amitié, nous entraîne et nous transporte dans les champs sans bornes de l’éternité !… Hélas ! je sentis combien il est douloureux de rester seul sur le rivage !…

Je retournai dans ma retraite : dans les premiers temps, cette solitude absolue me parut étrange ; ce n’étoit pas, assurément, madame D*** que je desirois ; mais j’avoue que, souvent machinalement, je trouvai qu’elle me manquoit : rien n’anime et n’égaye une maison comme une femme et des enfans ; d’ailleurs, les femmes seules ont l’art de bien diriger les domestiques ; elles seules savent se faire servir, prévoir quand il le faut, et donner, à propos, des ordres à l’avance ; la moins bonne ménagère est encore utile pour contenir les servantes, pour établir dans la maison la propreté,