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LE MALENCONTREUX.

j’envoyai au maire du village tout ce qui m’en restoit d’exemplaires. Occupé des plus douces idées, et plein d’attendrissement et d’émotion, j’arrivai au déclin du jour dans ce lieu chéri qui m’avoit vu naître. J’étois à cheval ; j’allois au pas, regardant attentivement tous les objets qui s’offroient à ma vue, les reconnoissant avec intérêt, et un doux mouvement de surprise, comme si je ne me fusse pas attendu à les retrouver aux mêmes places : je reconnus les champs que j’avois défrichés, je les contemplai avec complaisance : une autre main, me disois-je, en recueille les fruits, mais ce fut la mienne qui fit naître ces richesses ! L’injustice des hommes, qui peut dépouiller un propriétaire, ne sauroit ravir le titre et la gloire d’un bienfaiteur… Je sens ici ce que tous les humains éprouveront aux derniers momens de la vie ; je vois le néant et l’instabilité de la fortune ; je n’ai plus rien que ma conscience et le souvenir de mes actions ; je ne possède plus que mes sacrifices et mes travaux vertueux. Voilà mes seuls trésors, je ne jouis