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LE MALENCONTREUX.

ras si insurmontable, que je restai immobile, la bouche entr’ouverte, les yeux fixés sur madame D***. Elle prit ma confusion pour du saisissement, et mon air hébété pour l’égarement de l’amour ; elle se jeta à corps perdu dans mes bras, en s’écriant avec l’accent le plus emphatique : Connois enfin mon ame toute entière, mais respecte ton amante !…

Assurément, j’étois fort disposé à suivre un tel ordre. Je me levai précipitamment, je replaçai mon amante dans son fauteuil. Madame, lui dis-je, il me semble que vous vous êtes assez moquée de moi ; minuit vient de sonner, il est temps de s’aller coucher. En disant ces paroles, je m’éloignai promptement, sans attendre de réponse.

Cette risible aventure n’étoit nullement plaisante pour moi ; elle m’enlevoit tout l’agrément de mon intérieur : j’allois me retrouver continuellement tête à tête avec une folle blessée, irritée, que j’avois eu l’imprudence d’associer en quelque sorte à ma destinée, et qui malheureusement étoit trop dénuée de ressources,