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représentation alla jusqu’à un tel enthousiasme, que le chevalier de Chastellux, qui m’aimait beaucoup à cette époque, en fut effrayé pour moi. Après la pièce, la toile étant baissée, j’étais sur le théâtre, il accourut à moi, il avait les yeux pleins de larmes, il m’embrassa avec la plus vive émotion : « Ce jour est beau, me dit-il, mais il annonce des orages qui me font trembler pour vous. » Il avait raison. Je ne partageai point son effroi ; la vanité de mère et d’auteur m’empêchait de pénétrer dans l’avenir. Je fis en quinze jours Zémire et Azor, ou la Belle et la Bête, qui fut jouée dans le cours de l’hiver, avec l’Enfant gâté. Toutes ces pièces eurent le même succès, excitèrent le même enthousiasme, mais pas une de mes compagnes du Palais-Royal ne me demanda d’y venir. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que madame de Montesson et M. le duc d’Orléans ne me demandèrent pas de voir une représentation. Cependant je n’étais nullement brouillée avec ma tante, et j’avais même la complaisance de jouer assez souvent des proverbes chez elle ; mais sa jalousie sur ce point fut telle, qu’elle ne put se résoudre à me voir applaudir ainsi. Le chevalier de Chastellux fit de fort jolis vers sur ces petits spectacles ; M. de La Harpe en fit de