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vu. Je ne partis qu’à la nuit. M. de Voltaire me proposa de rester jusqu’au lendemain après dîner ; mais je voulus retourner à Genève.

Tous les portraits et tous les bustes de M. de Voltaire sont très-ressemblans ; mais aucun artiste n’a bien rendu ses yeux. Je m’attendais à les trouver brillans et pleins de feu : ils étaient en effet les plus spirituels que j’aie vus ; mais ils avaient en même temps quelque chose de velouté et une douceur inexprimable : l’âme de Zaïre était tout entière dans ces yeux-là. Son sourire et son rire extrêmement malicieux changeaient tout-à-fait cette charmante expression. Il était fort cassé, et sa manière gothique de se mettre le vieillissait encore ; il avait une voix sépulcrale qui lui donnait un ton singulier, d’autant plus qu’il avait l’habitude de parler excessivement haut, quoiqu’il ne fût pas sourd. Quand il n’était question ni de la religion, ni de ses ennemis, sa conversation était simple, naturelle, sans nulle prétention, et par conséquent, avec un esprit tel que le sien, parfaitement aimable. Il me parut qu’il ne supportait pas que l’on eût, sur aucun point, une opinion différente de la sienne ; pour peu qu’on le contredît, son ton prenait de l’aigreur et devenait tranchant. Il avait certaine-