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mission ; mais, puisque c’est votre désir, j’aime mieux ne la lire qu’avec vous. — Il est bien peu d’ouvrages que vous puissiez lire seul sans quelque danger. — Mais un livre d’histoire, à présent, maman, que je sais juger des actions ? — Vous me promettez de lire lentement et avec réflexion, et de me rendre compte tous les soirs de ce que vous aurez lu ? — Oui, maman. — Eh bien ! je vais vous donner un abrégé de l’histoire d’Angleterre qui me parait clair et fort bien fait.

Deux jours après, César dit à sa mère qu’il était choqué d’un passage qu’il venait de lire dans l’histoire d’Angleterre. — Voyons, dit madame de Clémire, lisez-moi ce passage. — Le voici.

« Les Français furent défaits à Azincourt par Henri V ; il y fit tant de prisonniers, que, pour pouvoir sûrement faire face aux ennemis qui menaçaient encore, il fallut mettre à mort ceux que le sort avait déjà livrés. »

— Eh ! bien qu’est-ce qui vous choque dans ce passage ! — Mais maman, l’historien ressemble à Homère : il conte cette cruauté comme une chose toute simple, et même indispensable. Il ne fait ensuite nulle réflexion là-dessus : ainsi il semble approuver cette barbarie.

À ces mots, madame de Clémire embrassa son fils. — Vous n’avez pas lu, lui dit-elle, comme un enfant ; vous avez réfléchi, vous avez consulté votre cœur et votre raison ; et ce n’est qu’ainsi que la lecture peut être utile. Cette manière de conter un trait barbare est, en effet, bien révoltante. Mais demain, mon fils, je vous lirai, dans un autre ouvrage, le récit de la bataille d’ Azincourt, et vous serez, je l’espère, charmé de cette lecture.

Je vous le répète, lisez toujours avec la plus grande attention ; pesez bien les réflexions et les jugements de l’auteur. J’insiste beaucoup sur ce point, parce qu’il est d’une extrême importance : en prenant cette habitude, vous formerez votre cœur et votre esprit ; et par la suite, aucun livre, quel qu’il soit, ne pourra être dangereux pour vous ; au lieu que si vous lisiez sans réflexion, vous prendriez