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Du moins ils ne m’accuseront pas d’être une mauvaise mère, d’être intrigante, d’afficher une noblesse de sentiments démentie par mes actions et par ma conduite ; je suis tranquille à cet égard. Mais, à propos des personnes qui ont de l’aversion pour moi, je ne puis m’empêcher de vous dire que j’en ai cité une, il y a quelque temps, dans une de nos veillées. L’action la plus touchante, le trait, selon moi, le plus intéressant que je vous aie jamais conté, c’est précisément cette personne qui me l’a fourni. — Et nous aurons pleuré sans doute, en l’écoutant ? — Oui, et moi-même en vous contant ce trait je n’ai pu me défendre d’un certain enthousiasme. — Cette idée que nous admirions une personne qui a de l’aversion pour vous me fait de la peine. Mais êtes-vous bien sûre que cette personne ne vous aime pas ? — Jugez-en vous-même : elle a eu besoin de moi pendant sept ou huit ans ; sans cesse elle venait me consulter, me confier ses secrets, me solliciter pour obtenir de moi des démarches que je n’aurais certainement pas faites dans mon propre intérêt : il n’y avait d’ailleurs entre nous nuls rapports d’intimité. Elle ne venait jamais me voir que pour me demander un service ; je ne l’écoutais que pour entendre le détail de ses affaires ; je ne parlais d’elle que pour solliciter une grâce. Le succès couronna mon zèle ; j’obtins successivement, dans cet espace de huit ans, tout ce qu’elle m’avait chargé de demander. À cette époque un événement nous sépara. Au bout d’un an je la revis. Elle semblait à peine me connaître ; je ne trouvai plus en elle qu’une étrangère ; et bientôt j’appris avec quelque surprise qu’elle était devenue mon ennemie. — Quelle ingratitude !… — Je n’en ai pas moins de plaisir à citer d’elle un trait dont je vous parlais tout à l’heure ; et voilà l’esprit de justice et d’impartialité que je veux vous inspirer. Mais revenons à vos lectures. Vous renoncerez au projet de lire seul l’Iliade ? — Oui, maman. On m’avait dit qu’on permettait cette lecture à tous les enfants de mon âge, et que les remarques étaient fort instructives. J’ai vu l’année passée mon cousin Frédéric lire l’Iliade et l’Odyssée à ses récréations : c’est pourquoi je vous demandais la même per-